L’abattage religieux halal « la dhabiha » ou casher « la shekhita[1] » consiste à trancher la gorge de l’animal conscient et non insensibilisé, jusqu’aux vertèbres, sectionnant la trachée et l’œsophage mais laissant la moelle épinière intacte, afin que les convulsions générées par l’opération, améliorent le drainage sanguin.
Selon les croyances, le sang serait un vecteur de maladie et la technique tendrait à ce que la viande soit plus hygiénique[2]. Ainsi l’étourdissement préalable érigé comme le principe dans la réglementation[3], contreviendrait à l’écoulement du sang et permettrait que soit consentie cette dérogation au principe de la liberté religieuse. Or les données scientifiques démontrent que l’égorgement peut impliquer de faux anévrismes[4] qui se traduisent par un écoulement sanguin ralenti en raison de la formation de caillots, augmentant ainsi le délai de la perte de conscience et de facto les souffrances. Durant cette longue agonie, l’animal se vide de son sang dans une grande détresse pouvant atteindre 15 minutes selon une étude de l’INRAE[5] et dont le contenu stomacal, porteur de bactéries, est régurgité et réingéré par ses tentatives de respirer.
Un rapport du Sénat [6] dénonce les conditions d’abattage rituel qui en raison d’un nombre réduit de manipulations, permet une accélération des cadences au sein des abattoirs[7], lesquelles peuvent donner lieu à des scènes insoutenables comme par exemple des animaux dépecés alors qu’ils sont encore vivants[8]. Ce qui au-delà du risque sanitaire[9] engendré par la pratique au nom de la liberté d’exercice du culte n’est pas sans soulever la question de l’aspect moral et éthique de cette tradition cultuelle.
Hélas le profit et la logique économique étant l’objectif premier des industriels, le bien-être animal devient l’exception à la règle, permettant que soit généralisé ce système d’industrialisation de la mort que certains auteurs ont comparé aux périodes les plus sombres de l’histoire[10].
Quel est le cadre juridique de l’abattage rituel ?
Si le principe général d’abattage des animaux est l’étourdissement préalable [11], ce qui signifie que l’animal antérieurement à sa mise à mort, doit être immobilisé et étourdi[12] conformément aux procédés autorisés[13], afin de lui épargner (…) douleurs ou souffrances évitables durant les différentes étapes de sa mise à mort[14], le règlement prévoit la dérogation à l’étourdissement dans le cadre religieux[15] où la mise à mort est un acte sacrificiel qui ne peut s’effectuer que sur un animal vivant et conscient[16].
Si l’abattage rituel est juridiquement protégé par l’article 9 de la Convention des droits de l’homme, repris par l’article 10 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, défini par le Codex Alimentarius[17] et dont les conditions sont fixées par décret[18]; il n’est juridiquement pas figé comme en témoigne la récente décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 17 Décembre 2020 illustrant le principe de subsidiarité dont chaque Etat membre jouit. C’est-à-dire que chaque Etat est libre d’appliquer ou non la dérogation au bien-être animal[19], dont la notion est consacrée à l’article 13 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne[20].
Le cadre juridique de l’abattage rituel est-il figé ?
Non. En effet deux décisions récentes de la Cour de justice de l’union européenne (CJUE) viennent de porter un sérieux coup de frein à la pratique et c’est heureux pour qui se soucie du bien-être animal, même si cette notion apparait davantage comme une vaine incantation, un colifichet au service des industriels qui usent et abusent de la notion comme un instrument de communication apaisant, à destination des revendications sociales croissantes en faveur du respect des animaux.
La première en date du 26 Février 2019[21] concerne la certification européenne « agriculture biologique » qui exige des standards élevés en matière de bien-être animal qui ne peut in fine, être attribuée à la viande issue d’animaux abattus, selon les rituels religieux, sans étourdissement préalable.
La seconde du 17 Décembre 2020[22] vient de se prononcer sur le décret flamand[23] qui impose l’étourdissement des animaux préalablement à leur mise à mort, lequel serait contraire à l’article 10 de la charte des droits fondamentaux selon les requérants. La Cour, tel un funambule, vient de se prononcer en faveur du bien-être animal justifiant que si le décret impose une « limitation », il n’en demeure pas moins « proportionnel » aux exigences de bien-être animal. A ce titre nous pouvons valablement nous réjouir de constater que le verrou de l’article 13 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne vient de sauter s’agissant de prioriser l’aspect religieux au bien-être animal, illustrant ainsi la montée en puissance de la prise en compte du concept dans le droit de l’Union européenne.
Quelle que soit l’espèce, l’égorgement sans étourdissement préalable est jugé « inacceptable » par la Fédération des Vétérinaires Européens (FVE)[24], et « à éviter » par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA)[25].
Bien que la pratique contrevienne gravement au respect des animaux et de la conception moderne, inconciliable avec la notion de bien-être animal[26], face aux revendications sociétales croissantes, on peut s’étonner que certains Etats membres, comme la France demeure la lanterne rouge de l’Europe en matière de protection animale[27].
D’autres pays ont pourtant durci leurs règles[28] ou interdisent l’abattage sans étourdissement[29]. L’insensibilisation de l’animal pré ou post égorgement, ne constitue qu’une étape dans la prise en compte de sa souffrance en ne réglant pas la problématique laquelle porte sévèrement atteinte à son bien-être.
La conciliation de la pratique avec les objectifs croissants économiques et de protection et bien-être animal est de moins en moins tenable.
Nonobstant la méthode employée, est-il sérieusement envisageable et cohérent de penser « bien-être animal « dans le cadre de leur exploitation et mise à mort programmée ? « Mieux mourir » ne serait-il pas une approche intellectuellement plus juste et appropriée ?
[1] L’abattage rituel correspond à une exigence propre aux religions musulmane selon Mustapha Afroukh, « Abattage rituel et liberté religieuse », RSDA, 2018/2, p. 423-436. https://idedh.edu.umontpellier.fr/files/2019/07/RDSA-2-2018.pdf
[2]La pratique de l’abattage rituel peut engendrer des conséquences graves de sécurité sanitaire des viandes pouvant aller jusqu’au décès, en raison de la section de l’œsophage qui provoque le déversement du contenu de l’estomac, porteur de bactéries dangereuses pour l’homme telle l’Escherichia coli, dénoncée par Gilbert Mouthon, professeur à l’école vétérinaire et expert auprès des tribunaux laquelle entraînent 300 complications graves par an, en constante augmentation. Cette complication atteint rarement les consommateurs issus des deux religions pratiquant le rituel en raison de la longue cuisson de la viande. En revanche, la tradition culinaire Française consiste à consommer la viande crue, ce qui accroît le risque.
[3] Article 4, paragraphe 1 du Règlement (CE) 1099/2009 du conseil du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort. Considération (6). » Toute douleur, détresse ou souffrance évitable est épargnée aux animaux lors de la mise à mort et des opérations annexes » et Article R.214-70 du Code rural (CRPM) : » L’étourdissement des animaux est obligatoire avant l’abattage ou la mise à mort (…). L’étourdissement désigne « tout procédé mécanique, électrique, chimique ou de toute autre nature provoquant une perte de conscience immédiate ; lorsque ce procédé est appliqué préalablement à l’abattage, la perte de conscience dure jusqu’à ce que la mort de l’animal intervienne des suites du processus d’abattage, et, en l’absence d’abattage, la procédure doit permettre à l’animal de reprendre conscience ».
http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex:32009R1099
[4] INRAE (Institut national de la recherche agronomique), 2009. Douleurs animales : les identifier, les comprendre, les limiter chez les animaux d’élevage. Rapport d’expertise réalisé par l’INRA à la demande du ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche et du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 339 p. (p. 230-232).
[5] INRAE, 2017. La conscience animale : expertise scientifique collective, résumé de 8 pages. p. 4.
https://inra-dam-front-resources-cdn.brainsonic.com/ressources/afile/402642-e39f1-resource-esco-conscience-animale-resume-francais-8-pages.pdf
[6] Propos tenus par M. Michel Baussier, président du Conseil supérieur de l’Ordre des Vétérinaires, lors de son audition à la Mission commune d’information sur la filière viande.
Sénat, 2013, n° 784 ; Rapport d’information fait au nom de la mission commune d’information sur la filière viande en France et en Europe : élevage, abattage et distribution. Tome II, p 203-204.
http://www.senat.fr/rap/r12-784-2/r12-784-21.pdf
[7] 65% des abattoirs abattent les animaux rituellement pour des raisons mercantiles. A ce titre on peut s’interroger sur la tromperie du consommateur (eu égard au devoir d’information), qui se procure de la viande, dont l’étiquetage ne fait point apparaitre le mode d’abattage, dont certains parlementaires se sont emparés, relevant certaines incohérences de traitement des consommateurs. Mais également de la réalité de la séparation de l’Etat et du religieux (article 31 de la loi du 9 Décembre 1905) qui légitime et institutionnalise une pratique cultuelle tendant à financer le culte à l’insu des consommateurs lambda. Mais également la question de la discrimination à l’embauche concernant les sacrificateurs, devant être habilités par les organismes religieux, laquelle mérite également d’être soulevée.
Florence Bergeaud-Blackler, » L’Etat, le culte musulman et le halal business, le financement du culte et des pratiques musulmans en FranceDir Randi Deguihem,Press Universitaires de Provence »,2005,halshs-000007163
[8] En moyenne 80 bovins sont abattus par heure au sein des abattoirs français soit une vache par minute, découpée vivante, en pleine conscience.
[9] Ibid . Le petit Nolan, intoxiqué par un steak haché en 2011, est décédé », La voix du Nord,14 septembre 2019,
[10] Charles Patterson « Un éternel Treblinka » Edition Calman-Levy,334 p
[11] Ibid
[12] Article R.214-64 du CRPM,5e : » Tout procédé qui, appliqué à un animal, le plonge immédiatement, dans un état d’inconscience. Lorsque ce procédé permet un état d’inconscience réversible, la mise à mort de l’animal doit intervenir pendant l’inconscience de celui-ci » et article R.214-71 : » La saignée doit commencer sans délai après l’étourdissement et en tout été de cause avant que l’animal ne reprenne conscience ».
[13] Arrêté du 12 Décembre 1997, relatif aux procédés d’immobilisation, d’étourdissement et de mise à mort des animaux et aux conditions de protection animale dans les abattoirs, article 4 du présent arrêté lequel énumère les procédés autorisés : » Procédé mécanique tels pistolets à tige perforante (matador) ou fusil à balles libres, électrique telle l’électrocution (électronarcose) ou par asphyxie tel le gaz de dioxyde de carbone »
[14] Article R.214-65 du CRPM : » Toutes les précautions doivent être prises en vue d’épargner aux animaux toute excitation, douleur, souffrance évitables pendant les opérations de déchargement, d’acheminement, d’hébergement, d’immobilisation, d’étourdissement, d’abattage ou de mise à mort ».
[15] La dérogation à l’étourdissement préalable dans la pratique judaïque et islamique est prévue par le décret n° 2011-2006 du 28 Décembre 2011 fixant les conditions d’autorisation des établissements d’abattage à déroger à l’obligation d’étourdissement des animaux
L’article R. 214-70 du CRPM ainsi que le règlement 1099/2009 du Conseil du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort. La Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs considéré, dans un arrêt du 27 juin 2000 (Affaire Cha’are Shalom Ve Tsedek c/France, requête n° 274117/95), que cette dérogation constituait un « engagement positif de l’Etat visant à assurer le respect effectif de la liberté d’exercice des cultes ». Cette dérogation à l’étourdissement est toutefois particulièrement encadrée dans un objectif de protection des animaux.
[16] C’est sur ce point précis que perdure la discorde et le débat théologique pour s’opposer à l’étourdissement ante ou post mortem de l’animal (appelé soulagement au sein des autorités religieuses juives). En effet il subsiste une confusion qui enlise le débat entre « animal vivant » c’est-à-dire conscient conformément aux préceptes religieux et « animal inconscient « lequel ne serait pas mort.
[17] C’est un organisme subsidiaire de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il s’agit de la compilation de toutes les normes, codes d’usages, directives et recommandations de la Commission du Codex Alimentarius. Celle-ci est la référence internationale en matière de normes alimentaires. La Commission a adopté, à sa 22e session (1997), les directives Codex concernant l’utilisation du terme halal. Ces directives ont été adressées à tous les Etats Membres et Membres associés de la FAO et de l’OMS en tant que texte de caractère consultatif et il appartient à chaque gouvernement de décider de l’utilisation qu’il entend en faire.
Directives générales pour l’utilisation du terme halalCAC/GL 24-1997 ; http://www.fao.org/3/y2770f/y2770f08.htm
[18] Le décret n° 2011-2006 fixe les conditions d’autorisation des établissements d’abattage à déroger à l’obligation d’étourdissement des animaux, JORF n° 0301 du 29 Décembre 2011.
[19] La polémique entrainée par ce sujet clivant et électoraliste entrave toute initiative destinée à mettre un terme à la souffrance animale en imposant l’étourdissement préalable.
[20] Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), entré en vigueur le 1er Décembre 2009 ; Article 13 : « Lorsqu’ils formulent et mettent en œuvre la politique de l’Union dans les domaines de l’agriculture, de la pêche, des transports, du marché intérieur, de la recherche et développement technologique et de l’espace, l’Union et les États membres tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles, tout en respectant les dispositions législatives ou administratives et les usages des États membres en matière notamment de rites religieux, de traditions culturelles et de patrimoines régionaux. »
[21] CJUE 26 févr. 2019, aff. C-497/17, OABA c/ Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Bionoor SARL, Ecocert France SAS.
[22] Décision CJUE 17 déc. 2020, Centraal Israëlitisch Consistorie van België e.a. c/ Vlaamse Regering, aff. C-336/19
[23] La Cour constitutionnelle Belge a saisi la CJUE après que plusieurs associations juives et musulmanes eurent opérer un recours en annulation des décrets adoptés en Novembre 2017 des régions flamande et Wallonne adoptés cette année-là, qui avaient pour but d’interdire l’abattage rituel et d’exiger l’étourdissement avant abattage afin de réduire au maximum les souffrances générées par la pratique
[24] FVE (Fédération des vétérinaires d’Europe), 2019. Avis sur l’abattage d’animaux sans étourdissement préalable.https://www.fve.org/publications/slaughter_without_stunning/
[25] EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments), 2004. Avis relatif au bien-être animal dans les principaux systèmes d’étourdissement et de mise à mort des grandes espèces commerciales d’animaux. p. 2
https://efsa.onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.2903/j.efsa.2004.45
[26] Toutefois la pratique dite conventionnelle, qui exige l’insensibilisation de l’animal avant sa mise à mort n’est pas moins exempte des dérives et atteintes au bien-être animal, largement dénoncées par les associations de protection animale (L214 notamment) ainsi que différents audits et rapports parlementaires. A ce titre le sujet du « Bien-être animal au sein de l’industrie agro-alimentaire de la loi Grammont à nos jours » portant sur le triptyque élevage-transport-abattage, mérite un développement qui fait d’ailleurs l’objet de ma thèse.
[27] La France depuis la nouvelle présidence de 2017 se distingue négativement s’agissant du respect et de la protection animale comme l’allongement des périodes de chasse ainsi que la baisse du coût du permis de chasse qui accroît mécaniquement le nombre de pratiquants.
Elle restait également le seul pays d’Europe à poursuivre la chasse à la glue en dépit de la cruauté de cette pratique. Toutefois le très récent arrêt de la CJUE du 17 Mars 2021 n°40/2021, affaire C-900/19, Association One Voice et Ligue pour la Protection des Oiseaux, vient d’interdire la pratique.
En dépit de la mobilisation des citoyens, le report de la fermeture des fermes de visons n’aura lieu qu’en 2025. Autre déception, la mise en place de la cellule Demeter (en référence à la déesse grecque de l’agriculture et des moissons) ayant pour mission affichée de “défendre les agriculteurs” contre les intrusions dans les élevages mais en réalité de museler les lanceurs d’alerte pour ainsi confisquer le débat public sur la réalité au sein des élevages. A ce titre la loi EGAlim de 2018, n’est point satisfaisante en matière d’installation des caméras de surveillance lesquelles demeurent soumises au volontariat des directeurs d’abattoirs. Il est dommage que cette disposition tend à réduire la loi à un simple instrument de communication sans effets.
[28] L’Autriche, l’Estonie, la Grèce, la Lettonie, la Slovaquie exigent l’étourdissement immédiatement après la saignée. Ce qui entraîne une perte de conscience immédiate c’est-à-dire l’insensibilisation aux opérations annexes d’abattage en lui épargnant toutes douleurs.
[29] Le Danemark, la Finlande, l’Islande, le Liechtenstein, le Luxembourg, la Norvège, la Slovénie, la Suède, la Suisse, la Belgique interdisent l’abattage rituel sans étourdissement. Si l’abattage sans étourdissement est généralement interdit, l’importation de viande produite conformément aux rituels halal et casher est souvent permise comme en Suisse.
Aline Renck-Guigue
Doctorante en droit