Numéro 21Droit animalierLe rôle et l’action du ministère public en matière de maltraitance animale et la nécessité de créer des structures dédiées

Franck Rastoul15 octobre 202512 min

Madame la première présidente, Monsieur le procureur général, Madame la vice-présidente à l’origine de l’organisation de ce colloque, Mesdames, Messieurs,

Je suis heureux de participer à ce colloque et de vous rejoindre en quelques secondes (si ce n’est physiquement, croyez bien que je le regrette !) grâce à la visio-conférence qui abolit l’espace et le temps. Le temps ne s’écoulant pas de la même manière selon la vitesse à laquelle l’on se déplace, je dispose donc selon la théorie de la relativité restreinte d’Einstein d’un temps optimisé pour ce colloque observant toutefois que si la journée commence à Papeete, il est 20 heures à Aix-en-Provence.

Plus sérieusement, je vous remercie sincèrement de m’avoir invité à intervenir dans le cadre de ce colloque dont l’organisation illustre une réalité : la question de la maltraitance animale se pose partout.

Elle se pose en métropole, en outre-mer et dans le monde entier. Elle est universelle et révèle l’inhumanité qui frappe en particulier les animaux ainsi que tous les êtres sans défense, les êtres sous emprise, les êtres vivants en état de faiblesse ou de dépendance. Les animaux font partie d’évidence de ceux-ci.

La question de la maltraitance animale doit donc être traitée partout. Elle doit l’être en tenant compte des réalités locales, avec pragmatisme et détermination, au vu notamment des coutumes et traditions. Mais tradition doit pouvoir aussi rimer avec évolution.

La question de la corrida, celle des combats de coqs en sont des illustrations parlantes sans nul doute inscrites dans ce que l’on appelle « le temps long ». A l’heure où Airbnb propose à des touristes de jouer à Rome les gladiateurs en écho avec la sortie de « Gladiator 2 », l’on mesure que le goût pour le sang, pour les jeux du cirque n’a pas déserté le Colisée en 24 heures…

Nous avons un devoir de protection accru face à des animaux soumis à notre bon vouloir, dépourvus de toute possibilité de se plaindre. Aucun chien martyrisé, aucun cheval abandonné dans un pré, ne poussent la porte d’un commissariat pour dénoncer les sévices endurés.

L’organisation de ce colloque en Polynésie doit être saluée car elle fait écho dans ce territoire comme en métropole à la prise de conscience accrue concernant la maltraitance animale, sujet considéré pendant longtemps, il faut le dire, comme inexistant, au mieux comme second. Au plan judiciaire, il faut le reconnaître aussi, ce contentieux a pendant longtemps été un contentieux de seconde zone.

Ce n’est plus le cas aujourd’hui même si le chemin restant à parcourir est encore long. Pour autant, les esprits évoluent et les têtes de pont, notamment judiciaires, se multiplient. Le ministère public doit être en phase avec la société. Son regard, comme celui de la société, doit continuer d’évoluer sur les violences de tous ordres y compris celles faites aux animaux. Le parquet doit se montrer actif et réactif en utilisant pour ce faire l’arsenal législatif et règlementaire dont il dispose.

Bien sûr, la réponse judiciaire n’est pas la clé unique en la matière mais elle fait incontestablement partie du trousseau. Au fil des ans, cette clé est de plus en plus visible dans la main de l’autorité judiciaire, dans celle du ministère public en particulier qui doit user de toute la palette des réponses pénales. Il faut recourir aux alternatives aux poursuites pour les faits les moins graves longtemps laissés dans le champ strictement administratif. Je pense notamment aux stages de sensibilisation qui allient pédagogie et formation ainsi qu’une forme de sanction, leur coût étant supporté par l’auteur des faits.

Je pense aux défèrements assortis de réquisitions de mandat de dépôt pour les faits gravissimes relevant de la barbarie ou d’une indifférence dépassant l’entendement relevant alors la « maltraitance passive ».

Au-delà de la sensibilité de chacun qui, par hypothèse est variable, la légitimité de l’action du parquet en la matière est la loi pénale. Celui qui maltraite un animal est un délinquant. Il y a des délinquants de la route. Il y a des délinquants de la maltraitance animale dont les profils et les motivations sont aussi variés que les nombreux champs qu’elle recoupe.

Les parquets doivent traiter ce contentieux comme tout autre contentieux, ni plus ni moins. En faisant cela, ils contribuent aux avancées de ce que l’on appelle « la cause animale » mais, encore une fois, leur cause est celle de la loi pénale et, parfois, celle de la loi civile en matière familiale lorsque la maltraitance animale rejoint la maltraitance humaine et inversement, j’y reviendrai.

Le magistrat du parquet n’est pas un militant. Comme tout magistrat et comme en toute matière, il doit faire preuve d’impartialité et de réserve ce qui ne veut pas dire que le militantisme n’a pas sa raison d’être dans d’autres enceintes. Le militantisme est souvent au cœur du milieu associatif dont l’action doit être saluée permettant la révélation de nombre de situations de maltraitance ainsi que la prise en charge des animaux qui en sont victimes. Les multiples associations investies dans le champ de la maltraitance animale constituent un tissu solide et utile même si celui-ci est, parfois, traversé de quelques déchirures. Le dévouement de ceux qui œuvrent, entre autres, dans les refuges, notamment les bénévoles, est bien souvent admirable.

Mais, selon une expression usitée, chacun doit rester dans son couloir de nage bien que, restant dans la métaphore, nous sommes tous dans le bain de la maltraitance animale.

Au plan pénal, le contentieux de la maltraitance est bien plus large que ce que l’on imagine dans une vision souvent superficielle. Il recoupe, bien sûr, les actes de maltraitance commis par le propriétaire sur son animal domestique, celui que l’on appelle son « maître », terme révélateur d’une certaine vision de la relation entre l’homme et l’animal.

Ces actes revêtent parfois une cruauté, une barbarie, un sadisme qui révèlent et interrogent sur le tréfonds, pour ne pas dire les bas-fonds, de la nature humaine.

A titre d’exemple, parmi bien d’autres, peut être cité le commerce en provenance de Chine de vidéos de tortures infligées à des chatons via un groupe Telegram permettant à des internautes du monde entier de choisir, moyennant finance, les pires sévices dont ils commandent et achètent ainsi les images. Les réseaux sociaux de l’abjection exploitent de la sorte les instincts les plus bas et les déviances ainsi que la vulnérabilité des victimes, animales comme ici, ou encore humaines comme le montre l’affaire Pormanove concernant la plateforme Kick. L’on mesure ici qu’il n’y a qu’une seule violence, physique et (ou) psychologique, qui s’exprime au préjudice d’êtres vulnérables. La lutte contre cette violence doit dès lors être de même unique.

Par ailleurs, la maltraitance animale va bien au-delà des sévices infligés à un animal domestique. Elle englobe, de manière non exhaustive :

-les trafics d’espèces protégées, un trafic de dimension internationale parmi les plus lucratifs qui relève de la criminalité organisée et de la protection de l’environnement et de la biodiversité,

-la mode des nouveaux animaux de compagnie (NAC),

-la situation des animaux de rente, parfois sur fond de détresse sociale des agriculteurs et éleveurs,

-les pratiques dans les abattoirs, domaine dans lequel, force est de le constater, les marges de progrès demeurent importantes, au premier chef pour les animaux mais aussi pour les personnels qui y travaillent, ce domaine demeurant un angle mort dans l’action des parquets,

-les conditions de transport des animaux, par voie terrestre mais aussi maritimes, domaine à investir de même au plan judiciaire,

-le monde de l’équitation dans différentes disciplines, endurance et concours complet mais aussi CSO et dressage,

-l’univers des courses hippiques,

-le dopage qui constitue un sous-sujet des deux sujets précédents,

-la situation des zoos, des delphinariums, des animaleries avec des trafics de chiots en provenance notamment des pays de l’Est,

-les combats d’animaux, de chiens, de coqs, – et bien d’autres situations…

Le contentieux de la maltraitance animale est aussi un contentieux technique et complexe. Il l’est au plan juridique avec plus d’une centaine de qualifications pénales.

Il l’est encore au plan pratique posant aux parquets et aux associations des questions très concrètes. Il en va ainsi de l’article 99-1 du code de procédure pénale qui prévoit que la personne coupable de faits de maltraitance animale supporte le coût du placement de l’animal. Cette disposition, louable dans son objectif, se heurte au fait que les personnes condamnées souvent ne s’acquittent pas des sommes dues, celles-ci demeurant alors à la charge des associations. Un basculement sur le régime des frais de justice assorti d’une action récursoire de l’Etat contre la personne condamnée permettrait de résoudre cette difficulté qui ne peut l’être par le seul biais de la cession avant jugement de l’animal, cession volontaire ou cession sur ordonnance.

Face à la multiplicité des enjeux de la maltraitance animale ainsi que des questions juridiques et pratiques soulevées, le ministère public doit se former et se structurer. Il en va de même pour les enquêteurs. Il faut se féliciter du développement des actions de formation dans différents cadres, notamment au travers du module spécifique développé depuis plusieurs années par l’école nationale de la magistrature au titre de la formation continue, par les initiatives conduites en direction des services de police et de gendarmerie ou au sein du secteur associatif et par le développement significatif des diplômes universitaires de droit animalier.

Au plan législatif, l’éparpillement des textes traitant de la maltraitance animale pourrait encore donner opportunément lieu à un regroupement dans un code spécifique.

Au-delà des textes, en ce domaine comme en bien d’autres, la volonté d’action, la volonté de résultat, est première, essentielle. Mais la pérennité de l’action judiciaire ne peut être tributaire des volontés individuelles qui, par hypothèse, passent et peuvent fluctuer. Cette pérennité passe par la mise en place de structures pérennes qui, au-delà des magistrats qui se succèdent dans les parquets, ancrent l’action du ministère public dans la durée.

La mise en place du pôle environnement et maltraitance animale (PEMA) au parquet général de Toulouse en est une illustration.

La continuité de l’action de ce pôle assurée par l’actuel procureur général de Toulouse est un motif de réelle satisfaction.

Dans le même esprit a été créée en novembre 2024 la cellule de lutte contre la maltraitance animale (CLUMA) au parquet général de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. La CLUMA impulse et coordonne la politique pénale en matière de lutte contre la maltraitance animale auprès des huit parquets du ressort soit les parquets d’Aix-en-Provence, de Marseille, de Nice, de Toulon, de Draguignan, de Grasse, de Tarascon et de Digne-les-Bains.

Il faut saluer également en ce mois de septembre la création d’une cellule analogue par le procureur de la République d’Aix-en-Provence qui travaillera en synergie étroite avec la CLUMA.

Au titre des avancées, la CLUMA a signé le 24 septembre dernier une convention avec la confédération nationale défense de l’animal (CNDA) afin d’optimiser le traitement des signalements et plaintes concernant les faits de maltraitance animale dans le ressort de la cour d’appel d’Aix-en-Provence et de favoriser le placement des animaux.

La prise en charge urgente et temporaire des animaux est favorisée grâce au maillage associatif assuré par la CNDA permettant aux parquets de disposer d’un interlocuteur unique et d’une solution rapide de placement dans ou à proximité de leur ressort. Cette initiative est une avancée importante dans la coordination entreleministère publicet lesecteur associatif face aux violences faites aux animaux.

La CLUMA est ouverte à tous les partenariats dans une logique concrète de résultats. Le secteur associatif joue, comme déjà souligné, un rôle essentiel. Constituant un véritable kaléidoscope de structures de toute nature, mues par un objectif partagé s’exprimant de multiples manières, les associations sont pour le ministère public un partenaire essentiel bien que parfois complexe en raison de cette diversité.

Les fédérations favorisent et simplifient les liens et échanges en regroupant les structures et constituant un partenaire unique disposant de juristes et d’avocats spécialisés bon connaisseurs de la matière et des pratiques judiciaires. Ce constat vaut pour la maltraitance animale comme, par exemple, en matière de protection de l’environnement avec France Nature Environnement (FNE).

La convention signée avec la CNDA intègre également un concept de plus en plus reconnu, celui « d’une seule violence » qui pourrait se résumer par une formule choc :« celui qui bat son chien bat sa femme » et inversement.

Le concept juridique d’unité de violences sera développé lors de la prochaine table ronde animée par Madame la première présidente JOLY-COZ, fondatrice de l’association « Femmes de justice », dont l’action en matière de lutte contre les violences faites aux femmes n’est plus à présenter.

Dans la convention signée avec la CNDA, cette approche globale des violences dans la sphère familiale se traduit par le fait que, sous l’impulsion du parquet général et le contrôle des huit parquets du ressort de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, tout fait de violences sur des animaux au sein de la sphère familiale donne désormais lieu à des vérifications afin de s’assurer qu’aucune autre violence n’est commise sur les personnes.

Inversement, tout fait de violence sur les personnes donnera lieu à des vérifications afin de s’assurer qu’aucune violence n’est exercée sur les animaux du foyer. Des instructions sont données en ce sens aux services de police et de gendarmerie.

Cette approche unique de la violence, dont seules les manifestations sont protéiformes, permet de renforcer la détection des faits de violence afin de protéger toutes les victimes, personnes et animaux.

Elle conduit encore à utiliser au mieux tous les moyens législatifs existant. Il est fréquent, en effet, que les animaux se retrouvent au cœur des séparations conflictuelles devenant l’un des instruments du conflit, voire en devenant les victimes directes. Pour prendre des exemples tristement concrets, tel est le cas du conjoint filmant avec son téléphone la mise à mort du chien de sa compagne en lui transmettant les images. Tel est le cas du conjoint envoyant un homme de main pour immoler le cheval de sa compagne en mettant le feu à sa couverture.

Si la réponse judiciaire doit passer ici d’évidence par la voie pénale la plus ferme, d’autres situations conduisent à utiliser la voie civile encore trop peu usitée.

Ces situations sont celles où l’animal du foyer est utilisé comme moyen de chantage, de pression, de contrôle sur la femme victime de violences conjugales, le juge pouvant alors retenir utilement la notion de « contrôle coercitif ».

En mai dernier, le juge aux affaires familiales de Draguignan a rendu une ordonnance de protection sur le fondement de l’article 515-9 du code civil accordant la jouissance du chien du foyer à la femme victime de violences conjugales. Ordonnant la remise du chien de la famille à l’épouse, le juge a constaté que le fait de priver celle-ci de cet animal constituait « une prolongation des violences psychologiques et du contrôle exercé sur elle ».

Cette traduction judiciaire du concept « une seule violence » montre le chemin parcouru depuis le colloque organisé à Paris en mars 2023 parrainé par Monsieur le sénateur Arnaud Bazin. Celui-ci, comme Maître Arielle MOREAU, partie prenante à cette table ronde, ou comme Madame le docteur Anne-Claire GAGNON, présidente de l’association contre la maltraitance animale et humaine (AMAH), œuvrent de longue date pour la reconnaissance de ce concept.

Celui-ci émerge à ce jour clairement dans les esprits et dans les pratiques. Il faut s’en féliciter.

La lutte contre la maltraitance animale est, on le voit, une course de longue haleine, avec différents obstacles. Elle relève plus du marathon, voire de l’ultra-trail, que du 100 mètres. Elle nécessite de trouver son rythme et son souffle en mobilisant tous ses acteurs : le législateur, le pouvoir exécutif, les autorités administrative et judiciaire, les avocats, les associations…

C’est une course pour la vie, pour le respect de la vie, du « vivant » selon une expression usitée. Je suis sincèrement heureux de notre foulée commune en ce jour. Nous contribuons ainsi, modestement mais non moins utilement, à cette politique des petits pas qui fait avancer partout la protection animale dans un mouvement lent mais continu.

Ce mouvement est essentiel pour les animaux et pour l’humanité, à tous les sens de ce terme. C’est ce qu’exprimait déjà Mohandas K. GHANDI pour qui « la grandeur d’une nation et son progrès moral peuvent être jugés à la manière dont les animaux sont traités ».

Je vous remercie pour votre attention.

Intervention lors du Colloque : « L’animal domestique et le droit – Le cas de la Polynésie française », 30 septembre – 1er octobre 2025

Lien vers la visio de l’Université de la Polynésie française UPF


Franck Rastoul
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Procureur général près la cour d’appel d’Aix-en-Provence

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