La pollution sonore s’applique aux effets provoqués par un ou plusieurs bruits. La notion de bruits n’est pas toujours très claire car on peut définir un bruit comme étant un son qui va être désagréable ou gênant. Donc cette notion peut impliquer un ressenti, une sensation très subjective qui peut varier d’un individu à un autre ou d’une espèce à une autre et cela en fonction du contexte également. Toujours est-il qu’en général, on associe la pollution sonore à des bruits anthropiques donc produits par l’espèce humaine. Dans ce cas, cette pollution est une source de préoccupation majeure pour la population urbaine et périurbaine à des niveaux quasi-comparables à la pollution atmosphérique. C’est un ressentiment assez général en France, mais bien évidemment les personnes les plus gênées vivent dans des agglomérations de plus de 30.000 habitants.
Au niveau des sources de pollution sonore, elles sont bien sûr multiples mais dans la grande majorité des cas le bruit des transports reste la source principale de nuisance sonore avec en premier lieu la circulation routière, puis le transport aérien et enfin le transport ferroviaire. Au-delà du bruit lié aux transports et dans des proportions plus faibles, les autres sources de nuisances sont les bruits liés au comportement (21%) souvent les bruits de voisinage et aux activités industrielles et commerciales (9%) dans ce cas on retrouve les travaux et les chantiers, le ramassage des ordures, les activités de bars, restaurants, discothèques. Cette pollution parfois négligée est pourtant vivement ressentie par les êtres humains. Les impacts, auxquelles on pense sans doute instinctivement, sont les effets délétères directs sur l’audition. Mais les effets biologiques extra-auditifs peuvent aussi être très nombreux. De nombreuses études montrent que l’exposition chronique au bruit active les mécanismes du stress et engendre notamment une fatigue physique et auditive, des perturbations du sommeil voir des insomnies, des problèmes de concentration, des problèmes d’irritabilité, des problèmes au niveau cérébral, des problèmes cardio-vasculaires. Bien sûr nous ne sommes pas tous égaux devant la nuisance sonore mais l’exposition chronique au bruit peut dérégler chez beaucoup de personnes de nombreuses fonctions biologiques importantes.
Du fait de l’expansion des activités humaines à l’échelle du globe et de la généralisation de l’industrialisation, rares sont devenus les lieux exempts de toute perturbation. Donc la perturbation est présente globalement quasiment partout. À ce jour, les zones où l’on n’entend plus que des sons d’origine naturelle ont diminué de presque de moitié à l’échelle du globe par rapport à l’époque préindustrielle. On constate une omniprésence du bruit. On pourrait, par exemple, se dire que les parcs naturels sont préservés de ces pollutions, mais ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. Au sein d’une étude, menée aux Etats-Unis en 2017, des milliers d’heures d’enregistrements acoustiques ont été réalisés au sein de 492 sites classés en tant qu’aires protégées. Les résultats via des modélisations ont ensuite été extrapolés à 100 000 autres sites existants (soit 14 % de la surface du pays). Il en ressort que le bruit anthropique dépasse le niveau sonore naturel dans 63 % des zones protégées.
Une étude similaire est actuellement menée en France au sein de la forêt du Risoux dans le Haut Jura. Les scientifiques ont ici posé plusieurs enregistreurs qui collectent les ambiances sonores depuis plusieurs années. Les premières analyses montrent, que sur une année complète, 75% des enregistrements sont pollués par de la pollution sonore et notamment des bruits d’avion. Ce taux atteint même 90% en milieu d’après-midi. Cette forêt qui est ce que l’on nomme une zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique n’est en réalité quasiment jamais débarrassée des sons humains. La pollution sonore est ainsi une réalité à l’échelle du globe, et si l’IPBES ne la considère pas encore comme une source majeure de recul de la biodiversité, il y a tout lieu de croire que cette position sera revue à l’avenir à mesure que les études scientifiques sur la question continueront à se multiplier.
Car en effet, cette pollution a des effets néfastes majeurs sur la biodiversité. Cependant, quantifier les effets des bruits anthropiques sur la faune est un défi. En effet, la sensibilité à ces bruits varie considérablement d’un taxon à l’autre, et peut également varier en fonction du contexte, du sexe et du cycle biologique. De plus, les effets de la pollution sonore sont rarement isolés d’autres formes de perturbations environnementales, telles que l’altération de l’habitat et les autres sources de pollution, ce qui rend confuse l’interprétation des réponses biologiques aux environnements bruyants. Malgré ces difficultés, il est cependant bien documenté que les communications sonores sont au cœur de très nombreux comportements vitaux chez une multitude d’espèces. Ainsi, si les bruits anthropiques viennent à masquer les signaux acoustiques de communication des espèces, de nombreuses fonctions essentielles risquent d’être altérées comme une dégradation de l’efficacité de la recherche de nourriture, une modification de la reproduction ou encore une baisse de la vigilance envers les prédateurs. A terme, c’est la capacité de survie des individus qui peut être amoindrie par cette pollution.
Au-delà de l’aspect comportemental et à l’instar de ce qui est démontré chez l’espèce humaine, le bruit a des effets avérés sur la physiologie des espèces. Une étude expérimentale s’est basée sur la diffusion de bruit anthropique (activité industrielle et bruits routiers) chez une espèce nord-américaine dont les populations peuvent être menacées, le Tétras des armoises (Centrocercus urophasianus). La collecte et l’analyse des crottes de l’espèce effectuée au cours de cette étude montrentdes niveaux moyens d’hormones du stress supérieurs de 16,7 % lorsque les individus avaient été soumis à la diffusion de bruits anthropiques. Cette étude n’est pas isolée et des liens entre pollution sonore et augmentation du stress ainsi que diminution du système immunitaire ont été démontrés chez plusieurs autres espèces d’oiseaux, de mammifères ou d’amphibiens. Les juvéniles semblent être particulièrement sensibles à ces expositions aux bruits qui peuvent avoir des répercussions non seulement sur leur développement mais également sur le long terme voire sur toute la vie des individus. Pour le montrer, durant une étude menée en laboratoire, des centaines d’œufs de Diamant Mandarin (Taeniopygia guttata) ont été incubés pendant 4 heures soit au sein d’un environnement silencieux, soit soumis à des chants d’oiseaux ou bien soumis à des bruits de trafic routier. On aurait pu penser que les embryons développeraient une forme de résistance aux bruits de trafic routier mais malheureusement cela n’a pas été le cas. Les embryons soumis à ces bruits ont un taux de survie plus faible de l’ordre de 20%, une croissance plus lente et des signes de dommages cellulaires plus importants. De manière plus grave, ces effets persistaient sur le long terme malgré l’arrêt de l’exposition aux bruits avec notamment une réduction conséquente du succès reproducteur des individus à l’âge adulte, lesquels pouvaient produire jusqu’à moitié moins de jeunes.
Ainsi malgré un impact important sur la faune démontré, pour le moment les nuisances sonores sont considérées essentiellement vis-à-vis de l’espèce humaine mais très peu vis-à-vis des autres espèces, des communautés et des écosystèmes. Il serait donc essentiel de prendre rapidement en compte, en matière de réglementation, le rôle des pollutions sonores d’origine anthropique comme un des facteurs possibles impliqués dans l’érosion de la biodiversité.


Clément Cornec
Photographe