Mardi 17 juin 2025, le Tribunal correctionnel de Lille a rendu une décision exemplaire : 1.500 euros accordés au titre du préjudice animalier dans le cadre de l’affaire “Buck”.
Lors d’une violente dispute avec sa conjointe, et alors que deux mineures étaient présentes dans le logement, le prévenu a rattrapé Buck – un chiot croisé Staff Malinois arrivé depuis seulement quelques heures dans le foyer, après une acquisition gratuite via un réseau social – qui fuyait apeuré dans les escaliers. Le prévenu a bousculé l’animal puis l’a sauvagement tué avec un couteau de boucher. Il a ensuite menacé sa conjointe en lui indiquant que “la prochaine fois, ce sera toi”.
Compte tenu des autres infractions pour lesquelles le prévenu était poursuivi, outre les sévices graves commis sur un animal domestique (article 521-1 du Code pénal), une peine de 30 mois d’emprisonnement ferme a été prononcée par le tribunal, ainsi que plusieurs peines complémentaires comme l’interdiction définitive de détenir un animal. Le prévenu a également été condamné à verser plusieurs indemnités aux parties civiles, dont la Ligue Protectrice des Animaux du Nord de la France (LPA-NF) qui portait la voix de Buck.
Aucun appel n’a été interjeté. Cette décision est désormais définitive.
Confirmation et évolution de l’application du préjudice animalier par la Justice
Il s’agit de la 3e décision reconnaissant et indemnisant le préjudice animalier prononcée par le Tribunal correctionnel de Lille qui construit indéniablement sa jurisprudence.
Trois chambres différentes de ce tribunal ont déjà condamné des auteurs de sévices graves sur un animal domestique pour ce chef d’infraction, en accordant une indemnisation spécifique au titre du préjudice animalier.
La première décision, inédite, date du 11 janvier 2024, dans l’affaire de la chatte Lanna, tuée à coups de lattes en bois.
La seconde date du 12 février 2025, dans l’affaire du chaton Lino, noyé par son propriétaire.
Dans ces deux affaires, les prévenus ont été condamnés à verser à l’association partie civile, la Ligue Protectrice des Animaux du Nord de la France (LPA-NF), 100 euros symboliques à titre de réparation des souffrances subies par l’animal lui-même, victime directe des faits.
En accordant 1.500 euros à cette même association dans l’affaire de Buck, les magistrats sont allés plus loin. L’indemnité accordée pour réparer les souffrances de l’animal n’est plus symbolique : 1.500 euros à titre de réparation des souffrances subies par l’animal lui-même, contre 500 euros au titre du préjudice moral de l’association.
Le tribunal a valorisé l’indemnité visant à indemniser le préjudice animalier, démontrant ainsi une volonté de protection des animaux et d’évolution des droits de ces êtres vivants et sensibles.
Ces indemnités s’ajoutent aux peines pénales prévues par le texte susvisé et aux éventuelles amendes. Il s’agit d’une indemnité supplémentaire, constituant un poste de préjudice distinct de ceux classiquement invoqués par les parties civiles, qui n’existait pas auparavant.
Faire souffrir un animal se paie. Non seulement le prévenu doit répondre pénalement de l’interdiction qu’il a violée en commettant une infraction. Mais il est susceptible d’être condamné civilement à indemniser l’association de protection animale qui porte la voix de l’animal blessé ou mort de par les agissements du prévenu :
- d’une part, au titre du préjudice moral subi résultant de l’atteinte portée aux missions statutaires que l’association est chargée de défendre (la protection animale), et,
- d’autre part, désormais, au titre du préjudice animalier résultant de l’atteinte directe ou indirecte portée à l’animal, être vivant doué de sensibilité, découlant de l’infraction (la souffrance animale).
Cette décision illustre la lutte contre la maltraitance animale qui s’opère aussi dans les prétoires.
Elle démontre en outre le lien entre les violences infligées aux animaux et celles commises sur les humains.
Une jurisprudence inspirante : le préjudice animalier suscite les encouragements
La reconnaissance du préjudice animalier a été initiée à Lille, grâce à l’audace de ses magistrats et à la réflexion juridique menée par la partie civile pour les convaincre.
Le Tribunal de Béziers, en septembre 2023, dans l’affaire de la chienne Rachel, traînée derrière une voiture – et qui a miraculeusement survécu – a lui aussi reconnu et indemnisé le préjudice animalier.
La jurisprudence lilloise inspire ainsi jusque dans le Sud de la France.
Et même au-delà puisque cette reconnaissance a traversé les frontières et les mers.
Le préjudice animalier est désormais abordé dans la presse étrangère et dans les colloques universitaires.
Il fait indéniablement son nid et s’installe progressivement dans le paysage juridique.
Il est à souhaiter qu’il s’étende encore, comme l’avait fait le préjudice écologique à l’époque de l’affaire Erika, consacré par la Cour de cassation puis par le législateur.

Graziella Dode
Avocate en droit animalier - Barreau de Lille