ActualitésManifestes et TribunesNi propriétaire, ni maître : repenser notre lien juridique avec les animaux

Alors que les animaux occupent une place de plus en plus centrale dans nos vies, notre droit reste englué dans une logique de possession. Il est temps de sortir du paradigme de la propriété pour reconnaître un lien fondé sur la responsabilité, l’affection et le soin.

Dans les formulaires vétérinaires, dans les contrats d’assurance, dans les registres administratifs, une case revient inlassablement : “nom du propriétaire de l’animal”. Qu’importe que cet animal vive depuis dix ans dans une famille aimante, qu’il ait traversé des deuils, des séparations, des déménagements à ses côtés. Le droit, lui, continue à le classer comme un bien. Un bien “sensible”, certes, depuis la timide avancée de 2015 dans le Code civil français (article 515-14), mais un bien tout de même.

Cette fiction juridique n’est pas qu’un détail de vocabulaire. Elle crée des impasses dramatiques pour celles et ceux qui vivent un lien profond avec un animal, et se trouvent soudain confrontés à la souffrance, la maladie ou la mort. Elle légitime des violences silencieuses. Elle empêche la reconnaissance d’un lien affectif et éthique qui ne relève ni de la propriété, ni de la maîtrise.

Être propriétaire d’un animal : l’expression semble banale, presque administrative. Mais elle révèle une conception bien précise : celle d’un rapport de domination et de possession. On ne possède pas un enfant. On n’est pas le maître d’un ami. Pourtant, on parle de “propriétaire”, de “maître”, de “possession”, pour désigner la relation avec un chien, un chat, un cochon d’Inde, un lapin ou un cheval.

Cette terminologie est d’autant plus problématique qu’elle entre en collision avec les évolutions de la société : de plus en plus de personnes considèrent leur animal comme un membre de la famille, un compagnon de vie, un être à part entière, et parfois notre unique famille. Le langage du droit trahit alors l’éthique du quotidien.

Il serait sans doute plus juste de parler de gardiens, de protecteurs ou de compagnons humains, afin de mettre en lumière un lien fondé sur l’interdépendance, la responsabilité partagée et le respect.

Cependant, au-delà des mots, ce sont les effets juridiques qui posent problème. Dans de nombreuses situations, le statut de “propriétaire” d’un animal empêche sa gardienne ou son gardien d’agir pour son bien. Des personnes peuvent se retrouver brisées par des décisions qu’elles n’ont pas pu contester, par des soins imposés ou refusés, par la perte brutale d’un animal aimé, sans que le droit ne reconnaisse leur détresse. Pire : parfois, ce sont les personnes les plus engagées, les plus attentives à la souffrance animale, qui sont démunies, marginalisées, et rendues inaudibles face aux institutions. Les cas de Fiona Popoti et Brookie rappellent douloureusement les limites du droit actuel. Fiona, morte dans la souffrance après un acte médical illégal, Popoti victime de maltraitance depuis plusieurs mois suite à une tromperie pour la création de son enclos, et Brookie, décédée lors d’un transport aérien inadapté, ont suscité des pétitions largement relayées (Fiona, Popoti, Brookie). Ces drames montrent combien le statut de simple “bien” prive l’animal – et son gardien – d’une véritable protection. Face à ces tragédies, il devient évident que notre cadre juridique, figé dans une vision dépassée, ne suffit plus à protéger nos compagnons.

En 2015, la France a reconnu que l’animal est un être “vivant doué de sensibilité”. Une avancée symbolique, mais qui n’a rien changé au fond : l’animal reste juridiquement un bien. Aucune refonte approfondie du Code civil n’a suivi. Le régime juridique est resté figé, incapable d’intégrer la diversité des relations interspécifiques.

D’autres pays ont fait des pas plus significatifs. Au Québec, le Code civil précise que l’animal n’est pas un bien comme les autres, et ouvre la voie à des décisions tenant compte de son bien-être. En Suisse, le code pénal reconnaît l’intérêt de l’animal à ne pas souffrir. En Espagne, les animaux de compagnie ne peuvent plus être saisis comme des objets lors d’un divorce.

Cependant, ces initiatives restent timides. Aucune n’a encore reconnu un véritable statut au lien entre un humain et un animal : une forme de “tutelle éthique”, un rôle de gardien légal, avec des droits et devoirs. Aujourd’hui, si vous êtes le seul à défendre l’intérêt de votre animal, peut rarement vous entendre.

Il est temps de changer de paradigme, de sortir du droit de propriété pour entrer dans une logique de responsabilité, de soin, et de reconnaissance mutuelle. Cela implique de :

  • Créer un statut de gardien légal d’un animal, à l’image de ce qui existe pour les enfants ou les personnes vulnérables, permettant de représenter son intérêt, notamment en justice.
  • Former les professionnels du soin animalier à une éthique relationnelle, respectueuse du lien affectif entre l’animal et son gardien.
  • Responsabiliser encore plus les vétérinaires, les éleveurs, et les institutions, face à la souffrance animale, y compris dans les gestes médicaux.
  • Surtout, cesser de parler de propriété. Et commencer à parler de liens, de cohabitation, de solidarité interspécifique.

Ce n’est pas une revendication marginale ou extrême. C’est une nécessité pour sortir de l’hypocrisie : on ne peut pas dire qu’un animal est un être sensible et continuer à le traiter comme une table.

Changer de mot, c’est déjà changer de monde. Refuser d’être appelé “propriétaire” de son animal, c’est refuser une vision patriarcale, instrumentale et hiérarchique du vivant. C’est affirmer que les relations humaines-animales (non-humaines) méritent d’être pensées autrement : dans le respect, dans la confiance, dans la reconnaissance de l’autre comme sujet.

Ce que nous partageons avec les animaux, c’est une histoire, une confiance, une fragilité.

Ne laissons pas le droit la réduire à un contrat de propriété.

Signez, témoignez, questionnez. Chaque geste compte pour reconnaître enfin ce lien comme un lien d’affection, de soin et de responsabilité partagée.

Pour celles et ceux que nous appelons par leur prénom. Pour que plus aucune Fiona, Popoti ou Brookie ne souffre ou meure sans justice.

Les « Voix Visibles » est un collectif citoyen dédié à visibiliser et sublimer les souffrances silencieuses pouvant être vécues dans les protocoles de soins aux animaux, en s’appuyant sur des outils d’intelligence collective et en collaboration avec des professionnels de santé, des juristes, des psychologues et des artistes.


Jennifer Weiser et Christian Makaya- Les Voix Visibles
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Il y a un commentaire

  • Hélène V.

    20 mai 2025 à 20h33

    Merci d’apporter cet éclairage très important. A mon sens, la notion de “droit” sur un animal est également dépassée (comme pour les enfants d’ailleurs…). Il serait plus éthique de parler de faculté plutôt que de droit, ces facultés devant être subordonnées aux devoirs inhérents au compagnonnage avec un animal.

    Répondre

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