L’année 2024 restera, en France, comme une année chaotique avec pas moins de quatre premiers ministres et autant de remaniements gouvernementaux, des élections européennes, une dissolution de l’Assemblée nationale et une élection législative anticipée… Cette instabilité politique a eu des incidences directes sur les sujets de protection animale, difficile en effet de faire aboutir les travaux engagés quand nos interlocuteurs sont soumis au jeu des chaises musicales.
Lutte contre la maltraitance animale
Trois ans après l’adoption de la loi de lutte contre la maltraitance animale, plusieurs décrets sanctions n’ont toujours pas été publiés. C’est le cas pour les animaleries qui ne sont plus autorisées, depuis le 1er janvier 2024, à vendre chiens et chats dans leurs établissements. Cette interdiction est aujourd’hui contournée par la présentation des animaux en arrière-boutique (ce qui reste interdit) mais aussi par la vente en ligne des chiens et chats avec retrait en magasin sur le principe du click & collect.
Pourtant, en interdisant la vente de chiens et chats en animalerie, la volonté des parlementaires n’était pas d’encourager la vente en ligne. Cet effet de bord est la conséquence d’une rédaction qui limite l’interdiction des cessions dans et non par l’établissement. La Fondation 30 Millions d’Amis travaille actuellement à étendre cette interdiction au commerce en ligne, par décret du ministre de l’Agriculture ou par article unique soumis au parlement… dès que le calendrier législatif le permettra.
Autre axe pour encadrer le commerce des animaux de compagnie et limiter les abandons : interdire les foires aux chiots qui se multiplient et sont des vitrines pour les éleveurs aux productions intensives. Lors de la précédente législature, le député Ian Boucard avait déposé une Proposition de loi transversale avec cet objectif. Un nouveau texte devrait être enregistré à l’Assemblée nationale durant cette mandature.
Cirques sans animaux
La loi 2021 reste à ce jour la plus ambitieuse adoptée en France, avec de nombreuses mesures comme l’interdiction des élevages de visons pour la fourrure, l’interdiction des manèges à poneys, l’interdiction des montreurs d’ours et de loups, un renforcement des peines pour les actes de cruauté, l’interdiction des spectacles de cétacés au 1er décembre 2026 et de la détention d’animaux sauvages dans les cirques au 1er décembre 2028. Ces deux derniers points restent les plus problématiques à mettre en œuvre tant il est difficile d’organiser l’accueil des animaux dans des structures adaptées à leurs besoins, structures insuffisantes qui nécessitent des investissements.
Le retard pris par le ministère de la Transition écologique dans la publication du décret sanctionnant l’acquisition, la commercialisation et la reproduction des espèces non domestiques par les établissements itinérants est problématique. Cette interdiction devait être effective au 1er décembre 2023, mais plus d’un an après cette échéance des naissances de félins sont toujours constatées dans les cirques sans qu’ils en soient sanctionnés.
Pour s’en justifier, le ministère avance un argument surprenant, le gouvernement ne souhaite pas sanctionner tant que le plan d’accompagnement des circassiens, qui a pris lui aussi beaucoup de retard, ne sera pas publié. Ce plan prévoit un budget de 35 millions d’euros pour aider les circassiens dans cette nécessaire transition vers un spectacle sans animaux sauvages, par des aides à la reconversion, le financement des stérilisations et nourrissage des animaux avant leur prise en charge par des refuges et sanctuaires. Donc on ne comprend pas bien la raison de la non-publication du premier décret qui entrainerait la publication du second…
L’année 2024 se termine toutefois sur une bonne nouvelle qui réjouit les défenseurs du vivant, la libération de Paul Watson après 5 mois d’incarcération au Groenland. La France a été un soutien précieux avec une mobilisation des citoyens et une action diplomatique auprès des autorités danoises, au risque de s’attirer les foudres du Japon.
Autre « bonne » nouvelle plus nuancée, la désignation d’un commissaire européen à la Santé et au Bien-être animal. Nuancée dans la mesure où il s’agit du commissaire hongrois Olivér Várhelyi, proposé par Viktor Orbán, dont le Parlement européen a d’abord rejeté la candidature avant d’accepter sa nomination avec des compétences réduites, un commissaire controversé dont la voix de portera pas.
Perspectives 2025
Les enjeux sont essentiellement européens vu le contexte politique national, actuellement deux propositions de règlements sont en discussion au sein des instances européennes : le règlement « relatif au bien-être des chiens et des chats et à leur traçabilité », le règlement sur « la protection des animaux pendant le transport ».
Règlement chiens chats
Au sein de l’UE, la valeur des ventes de chiens et de chats est estimée à 1,3 milliard d’euros par an. D’après la Commission européenne, 60 % des propriétaires de chiens et de chats achètent leur animal sur internet (plus de 75 plateformes en ligne ont été identifiées au sein de l’UE qui proposent des animaux à la vente).
La proposition fixe des règles minimales harmonisées sur le bien-être des chiens et des chats dans l’UE (éleveurs, vendeurs, animaleries et refuges), règles qui s’imposeront également aux pays tiers d’où proviennent un nombre toujours plus important d’animaux. La proposition encadre notamment les activités de reproduction des chiens et chats pour ne pas voir se multiplier les « usines à chiots » déjà répandues, y compris en France.
Point très important, l’instauration d’une identification obligatoire des chiens et chats (micropuce) et enregistrement sur une base nationale interopérable.
Règlement transport
En décembre 2023, la Commission européenne publie une proposition de révision du règlement 2005 sur la protection des animaux pendant le transport qui prévoit notamment l’interdiction des transports d’animaux de plus de 9h destinés à l’abattage, l’interdiction du transport maritime d’animaux sur des navires battant « pavillon noir » (actuellement 55 % de la flotte de transport de bétail agréée par l’UE), l’âge minimum de 5 semaines pour le transport des veaux non sevrés…
Alors que l’Allemagne, les Pays-Bas ou encore le Luxembourg militent pour l’interdiction des longs transports et exportations d’animaux vivants hors de l’UE (au profit du transport des viandes et carcasses), la France s’y oppose !
Au Parlement européen, deux rapporteurs ont été désignés, le Roumain Daniel Buda pour la commission agriculture et la Luxembourgeoise Tilly Metz pour la commission transport… Autant dire que tous nos espoirs reposent sur Tilly Metz, totalement engagée sur ce sujet après avoir présidé la commission parlementaire sur les transports d’animaux.
Autres textes attendus
Au Parlement européen le rapport de forces n’est plus très favorable aux animaux, l’accueil du Règlement transport est donc considéré comme un texte test par la Commission avant de sortir d’autres propositions attendues comme la sortie des cages pour toutes les filières d’élevage (proposition pourtant annoncée dès 2021). Autre blocage, en cas de ratification par les Etats membres du Mercosur (accord de libre-échange entre l’UE et des pays d’Amérique du Sud) la Commission européenne gèlerait toute mesure supplémentaire de bien-être animal, les produits importés n’étant pas soumis aux normes imposées aux producteurs européens cela ne ferait que renforcer la distorsion de concurrence. La France tente de rassembler une majorité de blocage pour que cet accord ne soit pas ratifié par les Etats membres, rien n’est gagné encore.
Révision de la législation bien-être animal… l’Arlésienne
Le 30 juin 2021, la Commission européenne répondait à l’ICE « End the Cage Age » (pour une ère sans cage), rassemblant 1,4 millions de signatures, en s’engageant à :
- Présenter une proposition législative d’ici fin 2023 pour éliminer progressivement les cages pour toutes les filières d’élevage d’ici 2027 ;
- S’assurer que les produits importés dans l’UE répondent aux futures normes sans cage (mesures miroirs) ;
- Mettre en place des systèmes d’incitation et d’accompagnement des éleveurs européens pour une transition vers un élevage sans cage.
Pour la filière poules pondeuses, la sortie des cages est déjà largement engagée. En France, en 2023, nous ne sommes plus qu’à 27 % de poules élevées en cages contre 67 % en 2016, l’objectif de la filière est maintenant d’atteindre 90 % de production hors cage en 2030. Cet objectif est déjà atteint ou dépassé en Allemagne et en Autriche.
Expérimentation animale
Chaque année, 8 millions d’animaux sont utilisés à des fins scientifiques dans l’UE dont plus de 2 millions rien qu’en France. En septembre 2021, une résolution du Parlement européen appelle la Commission à proposer un plan d’action pour réduire et remplacer l’utilisation d’animaux dans la recherche et l’enseignement.
En juillet 2023, la Commission européenne a répondu à l’ICE « S’engager en faveur d’une Europe sans expérimentation animale », qui a recueilli plus d’1,2 million de signatures, et propose :
- D’appliquer et mettre en œuvre l’interdiction de l’expérimentation animale pour les produits cosmétiques ;
- D’apporter des modifications législatives afin de mieux clarifier l’articulation entre le règlement sur les produits cosmétiques et le règlement REACH ;
- D’élaborer une feuille de route en vue de réaliser des évaluations de la sécurité chimique non fondées sur l’expérimentation animale ;
- D’accélérer la réduction de l’expérimentation animale dans les domaines de la recherche, de l’enseignement et de la formation ;
- De soutenir la recherche de solutions de substitution à l’expérimentation animale grâce à un financement de l’UE.
Aux Pays-Bas, le gouvernement a annoncé un investissement de 124 millions d’euros dans un centre de recherche biomédical sans animaux, ce pays et l’Italie reconnaissent déjà un droit d’objection de conscience à l’expérimentation animale, la France a tout intérêt à agir pour ne pas se laisser distancer par les Etats qui prônent une recherche plus fiable pour l’homme sans cruauté animale.
ICE Fourrure
Le 14 juin 2023, l’ICE « pas de fourrure en Europe » est présentée à la Commission européenne. Cette ICE, qui a recueilli plus d’1,5 million de signatures, demande d’interdire l’élevage et l’abattage d’animaux pour la production de fourrure, la commercialisation dans l’UE de fourrure d’animaux d’élevage… Une audition publique a lieu en octobre 2023 au Parlement à l’issue de laquelle la Commission annonce en décembre qu’elle évaluera la faisabilité d’une interdiction de l’élevage d’animaux à fourrure et de la commercialisation de la fourrure dans l’UE.
On le voit, si le chaos politique en France a bloqué toute avancée en 2024, l’année 2025 pourrait être propice à de nombreuses avancées européennes pour les animaux, la Fondation 30 Millions d’Amis y veillera !
Photo : Avec l’eurodéputée Emma Fourreau et l’équipe CIWF pour demander la fin des cages en élevage.
Christophe Marie
Directeur Affaires nationales et européennes à la Fondation 30 Millions d'Amis, auteur "Animaliste" ; "Lutter contre la souffrance animale - Pour une Europe des animaux"