Numéro 16Animaux domestiquesEduquer son chien en ligne : bonne ou mauvaise idée ?

Jasmine Chevallier15 juillet 20248 min

La tendance actuelle place l’animal de compagnie au centre des foyers, considéré comme un membre de la famille pour la plupart des propriétaires, et le mouvement de « pet-parenting » autorise même aujourd’hui certains à considérer un choix réel entre élever un enfant ou élever un chien[1].

Quelle que soit l’opinion que l’on porte sur la place du chien dans un foyer, son éducation est un enjeu majeur, au même titre que son alimentation ou sa santé. Au-delà de la nécessité de l’éduquer pour en faire un compagnon de partage agréable, il s’agit également de faire accepter le chien dans la société, dans la ville et même, désormais, sur son lieu de travail.

L’éducation canine consiste à orienter des comportements naturels du chien, tandis que le dressage consisterait plutôt à lui inculquer de nouveaux comportements (recherche d’odeur, mordant, etc.).

Pour la vie quotidienne, l’objectif principal est plutôt l’éducation, qui inclue différents pôles et démarre dès l’acquisition :

  •  Socialiser son chiot pour qu’il soit à l’aise, amical et poli face aux différentes espèces qu’il sera amené à côtoyer au cours de sa vie (enfants, adultes, autres chiens, chats, etc)
  • Lui apprendre à résister à ses impulsions, à être calme et parfois même un peu frustré, car ça fait partie des impératifs de la vie en société,
  • Lui apprendre à répondre à des commandements simples qui lui permettent de « bien se tenir » quand c’est nécessaire mais aussi de lui éviter de se mettre en danger en particulier en ville (assis, stop, pas bouger, etc)
  • Exposer son chiot à des situations et des environnements variés afin de l’habituer aux conditions de vie qu’il partagera avec les humains.

De nombreuses chaines d’éducation ont fait leur apparition sur les réseaux et proposent des programmes aux résultats plus ou moins mirobolants. Leur qualité est inconstante et n’est validée par aucun label indépendant qui puisse attester du sérieux des conseils prodigués.

En règle générale, comme dans beaucoup d’autres domaines, il est rare de pouvoir faire vite, bien, et sans investissement… Pour les propriétaires désireux d’éduquer leur chien, l’investissement est financier mais se compte aussi en termes de temps : éduquer un individu, quelle que soit son espèce, est un processus de longue durée. Le collectif d’éducateurs canins du MFEC a récemment dénoncé ces promesses mensongères dans un reportage[2]

Ainsi, mieux vaut se méfier des méthodes annoncées comme « rapides », « 100% garanties », ou « en X leçons ». Les chiens comme les enfants ont chacun un rythme de progression propre et surtout un profil comportemental de base qui doit impérativement dicter les étapes de la progression dans les apprentissages. Un chien n’est pas une machine, tous les chiens n’ont pas les mêmes capacités, et demander trop, trop vite ou trop mal à un chien en dépassant ses aptitudes n’est pas uniquement un échec immédiat dans la mise en place isolée d’un apprentissage : en tant que vétérinaires comportementalistes, nous sommes confrontés au quotidien à des chiens qui présentent des séquelles comportementales d’une éducation inadaptée, soit parce qu’elle a généré un traumatisme réel comme lors de punition positive (cris, collier électrique, canette remplie de boulons jetée à proximité du chien lors de comportement indésirable…) ou encore une perte de confiance durable du chien pour ses propriétaires[3]

Le comportement d’un chien résulte de l’effet de l’environnement (ses expériences, ses apprentissages) sur un profil comportemental de fond qui résulte de facteurs innés liés à la génétique, et qui définissent un niveau de vulnérabilité. Les facteurs génétiques viennent de sa race, de ses ascendants, mais aussi de ce qu’on pourrait appeler la « loterie du vivant », c’est-à-dire l’établissement d’un profil unique, pas forcément prévisible, que l’on visualise bien, par exemple, dans les fratries humaines : même avec les mêmes parents, les caractères des frères et sœurs peuvent être profondément différents.

L’effet de l’environnement, en positif ou en négatif, varie selon le profil comportemental. On observe que plus un animal est vulnérable de façon innée (que ce soit à la peur, par exemple, mais encore au allergies, aux maladies digestives, à certains troubles psychiatriques), plus l’environnement devra être de bonne qualité pour parvenir à compenser la fragilité. Dans le cas contraire, la maladie se déclenche : maladie phobique, allergie déclarée, trouble digestif chronique.

On parle du modèle de vulnérabilité, tel que modélisé par Zubin dans le cadre des maladies mentales[4], et c’est précisément l’évaluation individuelle des vulnérabilités d’un chien par un professionnel qui va cruellement manquer si le propriétaire suit point par point une méthode éducative standardisée, minutée, et non individualisée : si l’éducation ne tient pas compte de vulnérabilités passées inaperçues, les méthodes éducatives deviennent un facteur environnemental de stress qui risque d’impacter négativement le chien, voir dans le faire basculer dans la maladie comportementale.

L’exemple le plus classique est celui d’un chiot craintif qui aurait été adopté dans un élevage reculé en campagne pour un projet de vie familial, urbain et actif. Nombre de sites vont mentionner la nécessité de « socialiser le chiot » en l’emmenant partout, en lui montrant des environnements variés (sortie d’école, marché, transports en commun…). Malheureusement, un chiot qui présente une très forte vulnérabilité à la peur présente un risque immense, face à une immersion intense et brutale, de se sensibiliser aux éléments du contexte, c’est-à-dire d’en avoir de plus en plus peur au lieu de s’y habituer, au risque de basculer dans une maladie comportementale (phobie, anxiété).

Lorsque cette peur concerne l’espèce humaine, et que le chiot est caressé, manipulé et mis en contact de façon trop intense et trop intrusive, un la situation est d’autant plus problématique que des comportements agressifs peuvent apparaître. Nombre de cas d’agressivité que nous prenons en charge tiennent leur origine dans ce type de processus.

S’adresser à un professionnel pour l’éducation de son chiot permet de limiter cette inadéquation dangereuse entre le programme retenu et les capacités individuelles d’un chien. Éduquer un chien demande un engagement régulier sur la durée, c’est pourquoi il faut savoir s’écouter pour ne s’engager que dans un programme qui respecte certaines règles de bons sens :

  • Vous et votre chien devez être contents d’aller en session, sinon c’est mauvais signe.
  • Jamais votre chien ne doit vous sembler mal à l’aise, effrayé, ou dans l’incompréhension, même dans une méthode annoncée comme « positive ». Avoir peur, avoir mal ou être surpris ne sont pas de bons leviers d’éducation, et ils mettent votre chien et votre relation en danger. Si la situation apparait ou pire, se répète, cessez le programme,
  • L’éducation doit être un bon moment pour tous ! choisissez un programme varié qui alterne les cours avec des activités plus ludiques : pistage, promenades, agility et pourquoi pas du paddle ou du dog-dancing.
  • Choisissez pour autant que possible un programme qui prévoit des temps ou des séances entières en liberté avec des congénères : c’est hyper-important pour votre chien et c’est un point fondamental pour sa sociabilité future.
  • Méfiez-vous aussi des programmes « 100% positif  et sans contrainte », l’éducation canine inclue aussi un apprentissage du contrôle de soi, qui doit être doux et respectueux, mais qui doit aussi faire partie de l’entrainement,

Les éducateurs canins doivent normalement évaluer le chiot ou le chien qui leur est présenté, afin d’identifier en particulier ses fragilités, pour concevoir un programme adapté et surtout, être en mesure de bien réagir si le chien rencontre une difficulté particulière.

Eduquer son chien ne se limite pas à ce qui se passe en cours. Aucun professionnel ne pourra fabriquer un arbre décisionnel complet pour faire face aux situations de la vie quotidienne.

Les propriétaires doivent aussi gagner en compétence, en particulier pour :

  • la lecture des postures de communication canine, qui permet de décrypter l’émotion immédiate d’un chien. Savoir lire ce qu’exprime un chien dans son attitude fait partie de tous les programmes de prévention des morsures et permet d’avoir la bonne réaction avec son chien, dès qu’une tension apparait[5] (5),
  • La compréhension du comportement normal et des méthodes d’apprentissage, indispensables pour bien aborder les situations du quotidien et élaborer une relation de bonne qualité avec son animal[6].

Les ressources les plus précieuses sont probablement là, bien plus que dans des méthodes « prêtes à l’emploi ». La chaine Cynapse[7] , par exemple, a été conçue par un collectif de vétérinaires et d’éducateurs qualifiés dans cet objectif. Dans tous les cas, rappelez-vous que votre vétérinaire doit toujours être votre premier interlocuteur en cas de difficulté, afin d’écarter un problème physique qui pourrait en être à l’origine.


[1] albin-michel.fr/pourquoi-jai-choisi-davoir-un-chien-et-pas-un-enfant

[2]facebook.com/watch/

[3] sciencedirect.com/science/article/abs/pii

journals.plos.org/plosone

[4] cairn.info/les-schizophrenies

[5] decitre.fr/livres/les-signaux-d-apaisement

[6]  noledge-editions.com/produit/gerer-education-et-le-comportement-de-votre-chien

[7] youtube.com/@cynapse_officiel


Jasmine Chevallier
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Jasmine Chevallier, Dr vétérinaire, DIE vétérinaire comportementaliste

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