ActualitésAnimaux sauvages50 ans après leur réintroduction en bord de Loire : une année pour célébrer les castors !

Dans nos représentations, le castor eurasien est successivement passé d’une espèce convoitée pour sa fourrure, sa viande et son castoréum à une espèce nuisible, source de conflits d’usage avec les particuliers et le monde agricole, puis à une espèce sacralisée archétype de la nature sauvage.

L’année 1909 amorce une première victoire en prohibant la chasse de ce mammifère dans certains départements de France hexagonale. En 1968, le castor d’Europe est inscrit au registre des espèces protégées. Aidé ensuite par des réintroductions, l’ensemble de ces initiatives est une vraie réussite en matière de restauration de la biodiversité et inverse véritablement la tendance.

En 1974, Jean-Pierre Jollivet, accompagné de la Société pour l’Étude et la Protection de la Nature (SEPN) du Loir-et-Cher, prend cause et parti pour cet ingénieur des cours d’eau, alors extrêmement raréfié, dont le rôle écosystémique est indispensable, et motive alors sa réintroduction dans la Loire pour lui offrir de nouveaux espaces de reconquête.

À l’occasion de ce cinquantenaire, la Société Nationale de Protection de la Nature (SNPN) et le Comité Départemental de la Protection de la Nature et de l’Environnement (CDPNE), en collaboration étroite avec Loir-et-Cher Nature, la Société Française pour l’Étude et la Protection des Mammifères (SFEPM), l’Office français de la biodiversité (OFB) et leurs nombreux partenaires proposent une série d’animations de portée locale et nationale, inscrites sous le label l’Année du Castor. Avec un colloque en point d’orgue les 12, 13 et 14 décembre 2024 dans le département hôte de sa réintroduction, à Blois.

L’Année du Castor a pour vocation de fédérer les acteurs impliqués dans la préservation de ce rongeur pour accompagner des dynamiques collectives autour d’un projet de Stratégie nationale. À destination de tous les publics, du plus jeune au plus âgé, de l’amateur à l’expert, il s’agit également de le réhabiliter dans l’imaginaire collectif.

À l’heure d’une préoccupation climatique globale, il nous faut penser, ensemble, le lien entre les humains et la nature afin de consolider la résilience de nos territoires.

Le Père Castor nous a longtemps raconté des histoires, à nous, maintenant, de connaître la sienne.

Rémi LUGLIA, Président de la SNPN et Christian MARY, Président du CDPNE

Le castor : une espèce aux compétences uniques sur l’habitat et à l’action positive sur la biodiversité

Le genre Castor englobe actuellement le castor d’Eurasie (fiber) et le castor du Canada (canadensis) présents respectivement sur le continent eurasiatique et nord-américain. Ce mammifère semi-aquatique est le plus gros rongeur d’Europe avec un poids moyen de 21 kg. Plus habile dans l’eau que sur terre, grâce à ses membres postérieurs palmés, sa queue aplatie et sa fourrure imperméable, il taille les arbres en crayon à l’aide de ses dents biseautées.

L’organisation familiale et territoriale du castor eurasien suscite la curiosité des scientifiques. Outre les individus isolés (40 %), sa structure sociale repose sur la cellule familiale. Chaque famille, composée d’un couple parental monogame, de deux castorins et de subadultes _ chargés de les élever _ maintient un territoire de 1 à 3 km le long des berges.

Les substantifs « géo-ingénieur » et « grand architecte des cours d’eau » dont on le qualifie trouvent écho dans son expertise architecturale et sa capacité d’adaptabilité. Selon le type de rivage, il érige des huttes sophistiquées et des barrages, s’approprie des embâcles naturels ou creuse des terriers pour assurer un abri sec à sa famille. Ces transformations géomorphologiques lui valent le titre de plus grand transformateur environnemental après les humains.

À l’heure d’une prise de conscience universelle quant à l’urgence climatique et l’érosion de la biodiversité, cet animal offre de nouvelles perspectives. Malgré l’impact incontestable du réchauffement climatique, une idée émerge : les cours d’eau artificialisés ne peuvent plus fournir les fonctions d’atténuation des inondations et des sécheresses.

Le proverbe « mieux vaut prévenir que guérir » résume l’activité du castor. Par opposition au drainage systématisé des rivières, qui favorise l’évacuation des eaux, le castor s’attelle à dessiner des méandres pour hydrater les fonds de vallée et ralentir le flux. Cet aménagement ingénieux de « zones humides» permet d’accélérer le processus de régénération de la biodiversité et de renforcer les capacités des cours d’eau à faire face aux aléas climatiques.

Dès le XIIe siècle, la destruction de l’habitat du Castor fiber, conjointement à sa traque pour sa fourrure, sa viande et son castoréum, provoquent une diminution drastique de sa population qui s’étendait autrefois depuis la Péninsule Ibérique et la Grande Bretagne jusqu’en Sibérie orientale. Cette oppression est largement encouragée par la promotion de primes, la déforestation et les aménagements hydrauliques massifs de la période industrielle récente.

Soumis à ces contraintes, seuls quelques individus persistent au XXe siècle dans le Rhône méridional et en Camargue.

Le castor européen a suscité un intérêt significatif dans les cultures passées comme en témoignent la multitude de toponymes et d’hydronymes issus de son étymologie gauloise. L’utilisation du terme « bièvre » pour le désigner dans l’ancien français est à l’origine du nom de nombreuses rivières en France et en Belgique, telles que La Biesme, la Bièvre, et le Beuvron entre autres. N’est-il pas temps de remettre en question nos perceptions du castor ?

Contrairement à nos croyances, ce mammifère ne se nourrit pas de poisson et ne représente donc aucune menace pour la faune avoisinante. Son régime végétarien se compose essentiellement de feuilles de peuplier et d’écorce prélevées en hiver sur les saules de la ripisylve. Les barrages prodigieux qu’il construit ne bloquent pas la circulation des espèces dans les cours d’eau et sont perméables au vivant. Ils enrichissent considérablement la biodiversité et favorisent le bon fonctionnement des rivières. Leur présence dans les cours d’eau étroits témoigne d’une volonté d’agrandir son territoire, de veiller à l’immersion permanente de l’entrée de sa hutte et de pallier un assec estival. L’enjeu de l’Année du Castor réside principalement dans l’importance d’accompagner le retour du castor en levant le voile de notre ignorance sur cette espèce qui loin d’être nuisible, œuvre de façon remarquable à revitaliser les écosystèmes et réguler les cours d’eau.

D’après un bilan national dressé par le réseau Castor entre 2005 et 2009 sur 17 600 km de cours d’eau prospectés, on estime entre 14 000 et 16 000 individus présents en 2009 en France pour seulement 3 000 recensés en 1965. En 2023, il est présent sur plus de 18 000 km de cours d’eau (sur plus de 33 000 km prospectés), soit une population d’au moins 20 000 individus. En un siècle, leur nombre a été multiplié par 150 et 4 des 5 grands bassins fluviaux du pays connaissent l’expansion de sa population. Des pays limitrophes tels que la Suisse, la Belgique et le Luxembourg s’engagent également pour la préservation de cette espèce.

La garantie d’une réhabilitation durable du castor d’Europe dans les rivières orphelines repose sur notre capacité à harmoniser notre activité avec la sienne. Laisser un peu plus de place au castor lui permet de déployer ses activités et de produire tous les effets écosystémiques liés à sa présence. Démanteler nos systèmes de drainages et créer des méandres permet de ralentir les flux, instaurer des zones humides et prévenir des inondations. Il est crucial d’anticiper les conflits d’usage avec les particuliers et le secteur agricole et sylvicole en saisissant l’importance de la renaturation des cours d’eau pour atténuer les crues et les assecs.

Photo : ©Gérard Fauvet animauxdefrance.fr


Société Nationale de Protection de la Nature (SNPN)

La SNPN est la première association de protection de la nature en France.

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